Je ne sais pas si je veux être comédien. Théâtre. Le théâtre est un endroit conçu pour regarder. Pour être regardé. Theatron, c'est le lieu. Théâtre, c'est juste regarder. Pas juste regarder non. Théâtre est un mot grec. En français il n'y a pas de mot pour dire se laisser activement affecter. Alors on traduit théâtre avec un pauvre mot que même les latins n'ont pas su trouver : regarder.
Quand je suis dehors je vois bien Que personne ne sait plus regarder alors Je ne sais pas si être comédien a encore du sens.
Il y a plusieurs façon de regarder. Poser les yeux, déjà. On pose son oeil et on constate que cette chose est là. Pauvre regard triste et militaire. Je ne supporterai pas travailler pour qu'on pose, froidement, ce regard ennuyé sur mon jeu. Il y a aussi le regard accusateur. Un regard tordu où celui-là t'accuse d'être la personne qu'il n'aime pas. Il ne peux rien voir d'autre que lui-même. Ces personnes soucieuses ont des analyses perçantes et il est peu probable que mon personnage y résiste. Je ne serai plus rien qu'un comédien et jugé pour cela. Quel intérêt d'être regardé ainsi ? Faut-il travailler aussi dur à disparaitre pour qu'au final on ne s'intéresse qu'à moi ? Ces gens là ne savent pas jouer ni s'amuser. Ils aiment à valider la culture plutôt que de la vivre. Faut-il que le comédien joue pour lui-même pour que cette idée fonctionne ?
Enfant, mon grand-père m'apprenait à regarder les choses. Il me disait que regarder quelqu'un c'était une conversation. Et que mon regard devait parler de moi. Que mon interlocuteur parlait à mon regard et que mon regard c'était moi. Il m'aidait à donner vie à mon regard et quand je regardais une chose, j'invitais cette chose en moi. Si je la sequestrais dans mon corps on devenait fou tous les deux. Si je l'accueillais pour lui faire une place, dans une cohabitation aimable, elle m'accueillait à son tour et nous gagnions chacun un corps supplémentaire. Alors nous nous aimions. C'est cela le regard. C'est cela regarder. Je le sais. C'est cela le théâtre. C'est sûr. Je le sens.
Je ne sais pas si je veux être comédien. J'ai peur des regards tristes et des regards sequestrateurs.
L'art ne peut pas mourir. Le théâtre ne peut pas mourir. Mais il peut devenir tellement minuscule qu'il ne sera plus accessible qu'aux poètes.
Alors je serai poète, Un comédien minuscule, Un grand acteur du regard.